Route des Hommes Préface de Ghislain Olivier



Graver les états du monde et en tirer les preuves efface le texte, bouleverse les images dans la précarité des signifiés.
Figer un certain état du monde transi dans ses pulsions extrêmes avant qu’on ne l’oublie à nouveau, avant le crépuscule …
Le labeur, passé prolétarien, fruste mais puissant, autrefois méprisé, revient à la mémoire, exprime ses conditions, ses exigences : la fuite, le grand soir et l’avenir meilleur.
Quelques dizaines d’années seulement nous séparent de ce patrimoine.
Le labeur d’autrefois n’est pas sans avoir forgé un désir commun, émotif, transgressant la rigueur des relations sociales, souvent brutales et abruptes. Les utopies et les révoltes que nous avons fréquemment ignorées sont issues de cet autre monde. Elles restent fascinantes, du moins faut-il l’espérer.
Les chutes du siècle ont nourri la fausse universalité de ce début de millénaire, confondant l’histoire et l’évènement, la rébellion et le désir.
Dans le miroir du monde, l’imaginaire en tête et le réel aux pieds, le témoin devient acteur ; le spectateur trainant ses pulsions se fait vétéran d’une humanité atomisée. D’un coup , l’image rassemble fait digue, prévient de tout débordement de soi. Elle scande l’utopie, fixe un monde en partance.
A mi-chemin
Les usagers de la scène quotidienne augmentent la nécessité d’une forme d’ancrage, d’une caisse de résonnance, d’un amplificateur de la dimension humaine.
Un champ d’action, où rien ne change, s’établit .. Mais ce qui change nous change. Les lieux et les images même imaginaires ou utopiques suggèrent le droit à interpréter les rythmes, les contacts, le vécu.
La briéveté de l’existence n’a de limite que dans la peur et le voyage ne voit plus les repères. Mais les outils sont tellement affûtés que l’image en garde les traces et les isole en vue d’une redécouverte.
Quittant le rêve pour se pencher sur le geste, la vérité l’emporte sur la beauté. Tailler dans le vif, c’est mettre à nu le nerf des systèmes sociaux dans la transmission d’un message loin des évidences et des loisirs.
Préface écrite par Ghislain Olivier pour le  livre « Route des hommes » roman graphique de Frans Masereel.