Écrits sur les peintres

Extrait :

Sur Hans Arp : L’œuvre de Arp illustre à merveille ce que nous disons de la technique soumise à l’esprit. J’entends bien que les esprits chagrins s’étonneront des moyens employés par lui. Mais n’est-ce pas ici le lieu où proclamer une fois pour toutes qu’aucun procès de tendance ne saurait être instruit contre un peintre en ce qui concerne la matière traitée par lui et le traitement qu’il lui inflige ? L’esclavage de la matière n’est heureusement pas encore aboli... 
Sur John Constable : Lourds, denses, pesants, les ciels de Constable évoquent les époques fabuleuses, les rochers originels à l’état de vapeurs et de fantômes, les volcans légendaires de la parturition terrestre. Seule la terre ici nous est secourable. Le ciel de cailloux et de pierrailles est hostile. Mais combien de temps le paysage nous offrira-t-il un abri sûr ?... 
Sur Per Krohg : Il n’y a de véridique que l’exceptionnel. Sans cet « exceptionnel », ce merveilleux, pas de réalité. Mais aussi, sans cette réalité, pas de merveilles. Il ne s’agit pas de faire le procès de la réalité comme certains l’ont cru mais de briser les frontières qu’on a prétendu mettre autour d’elle et de dire une fois pour toutes qu’il n’est pas d’illusions, pas de mirages, que si le langage écrit, parlé ou peint peut commettre des erreurs, l’œil, l’odorat ou le toucher ne peuvent se tromper, que ce qui est formulé est créé et qu’on ne formule rien impunément. Précisément parce qu’il manifeste toutes les qualités, toutes les inquiétudes de l’homme et de l’homme en présence de la réalité et du merveilleux, je veux dire ici la joie que m’ont causé les œuvres de Per Krohg récemment exposées... 
Sur Félix Labisse : Labisse, après avoir illustré le monde, le découvre dans sa merveilleuse réalité, cette réalité incluse dans toute idée valable de surréalisme, cette réalité qui ne signifie pas soumission aux formes extérieures, mais possession de la matière et victoire sur elle. Il ne sera pas surprenant de voir Labisse célébrer ses noces avec cette planète qui est bien ce que nous possédons de plus sûr dans le ciel, de le voir célébrer ses noces terrestres avec la sensualité qu’interdit tout art intellectuel... 
Sur Lucien Laforge : La peinture de Laforge est une peinture qui ne se préoccupe ni d’être actuelle ni de plaire. Mais elle plaît à quiconque aime la probité, la sève et la constance à travers les accidents du destin. Et c’est parce que dans ce sens la constance est une vertu française qu’il nous plaît de saluer en Laforge un vrai peintre français, issu de notre sol, de nos villes et de nos visions... 
Sur André Masson : André Masson nous exprime loyalement l’aspect des bêtes. Il ne se livre à aucun rapprochement pictural anthropomorphique. La manière de ces tableaux est généralement extrêmement délibérée. Le tracé en est rapide, énergique, sans remords. Il semblerait que sous le pinceau, la plume ou le pastel, les animaux qu’il propose à notre intention dans les attitudes de la fureur et de la violence aient été créés par lui au temps d’une inimaginable genèse...

Robert Desnos - Éditions Flammarion