Soir d'été

Extrait :

Un jeune couple est installé sous le porche d'une maison. Il fait nuit et seule une lumière électrique provenant du plafond éclaire crûment la bâtisse et les deux personnages, tandis que le reste du paysage reste plongé dans l'obscurité. La femme est très légèrement vêtue de rose et laisse apparaître ses jambes, ses épaules et son ventre dénudés. Il semble faire chaud, sans doute une de ces nuits d'été où même le coucher du soleil n'apporte que peu de fraîcheur. Le peintre américain Edward Hopper a intitulé cette huile sur toile "Soir d'été", confirmant ainsi la volonté de mettre en place une véritable atmosphère. On considère souvent Edward Hopper comme un peintre réaliste, malgré sa volonté de se différencier de tout mouvement, école ou étiquette. Il s'attache à décrire avec précision dans son art l'existence et les mœurs de ses contemporains, ce qui le rapproche du réalisme. Ses thèmes de prédilection sont les scènes de la vie quotidienne. Sa peinture peut être vue comme dressant le portrait des États-Unis de son époque, et ainsi accéder au statut de témoignage. Dans "Soir d'été", l'artiste place ses personnages devant une maison à bardeaux blanche typique, qui ressemble d'ailleurs à la maison d'enfance de Hopper à Nyack (État de New York), aujourd'hui transformée en centre d'art. Les habits de l'homme et de la femme correspondent à la mode de la fin des années 1940 aux États-Unis. Ce rendez-vous appartient donc bien au registre de l'ordinaire. Face à cette peinture, le spectateur que nous sommes est immédiatement immergé dans une sphère très intime. L'artiste ne choisit pas de nous présenter une scène de vie urbaine exposée aux regards de tous, comme peuvent l'être, par exemple, celles qui se déroulent dans les rues, les cafés ou les théâtres, fréquentes dans la peinture d'Hopper. Bien au contraire, ce qui se trame entre cet homme et cette femme relève d'un ordre strictement privé. Ils se trouvent dans un lieu isolé, probablement devant la maison de l'un des deux protagonistes, où aucune autre présence humaine n'est signalée ou indiquée par le peintre. La nature entourant la maison est pour l'essentiel masquée par l'obscurité, à l'exception d'une bande de verdure en bas à droite du cadre. De cette façon, le peintre donne le sentiment d'un environnement déserté. Nous observons ce couple à son insu, et nous ne pouvons déceler chez les personnages ce qui serait une invitation ou une prise en compte de notre présence. Nous ne croisons pas leurs regards : le corps de l'homme est orienté vers sa compagne tandis que cette dernière, pensive, fixe droit devant elle, les yeux dans le vide. Le couple apparaît physiquement comme un groupe fermé et concentré dans l'espace, à droite de la toile. L'homme nous tourne le dos tandis qu'il réalise une ouverture vers la figure féminine, posture qui contribue à nous maintenir à l'écart de la scène. Le spectateur est donc amené à jouer un rôle d'observateur extérieur. Le sujet de ce rendez-vous nocturne auquel nous assistons n'est pas révélé explicitement. Si la peinture est par définition un art du silence, elle l'est tout particulièrement dans le travail de Hopper. Cet artiste épure radicalement les scènes qu'il représente, écartant tout élément anecdotique qui pourrait nous suggérer un univers sonore... 

Juliette Bertron - Éditions Gallimard