l'ABCdaire de l'art contemporain

Extrait :

L'illusion d'éternité indiquait qu'une œuvre était à la fois ce qui transcendait l'histoire et caractérisait un moment de l'histoire, histoire de l'art ou histoire tout court. Or, les matériaux mêmes qu'emploient les artistes contemporains sont souvent périssables, s'autodétruisent lentement. L'ubiquité voulait qu'une œuvre soit toujours identique quel que fut le lieu où elle était présentée. Nombre d'œuvres de l'art contemporain, notamment les installations ou les performances, refusent ce diktat ; beaucoup sont produites pour un lieu précis ou, au contraire, nient l'idée d'unicité en devenant multiples, c'est-à-dire produites à plusieurs exemplaires. L'art est dès lors indexé à un espace de présentation. Enfin, l'illusion d'évidence voulait que chaque spectateur possédât le savoir nécessaire à sa compréhension. Cette illusion, directement issue de la Renaissance, reposait aussi sur le fait que l'œuvre d'art avait un public spécialisé et une destination précise. Au contraire, l'art contemporain repose le plus souvent sur un effet qui serait de l'ordre de la sensation pure et de l'immédiateté des significations. Nul besoin aujourd'hui de connaître l'iconographie attachée à certains personnages antiques ou religieux. Bien sûr, les œuvres contemporaines s'inscrivent toujours dans les limites d'une culture déterminée (il faut en effet savoir qui est Marylin pour apprécier une toile d'Andy Warhol). Cependant, ce renversement a contraint nombre d'artistes à concevoir différemment leur pratique artistique. Désormais, les œuvres se proposent de donner des informations, informations sur le monde, informations sur la subjectivité de l'auteur... De ce fait, l'art contemporain se trouve souvent à la frontière qui sépare l'information de la fiction, frontière entre le documentaire et la mise en abîme de notre société. Tracer l'histoire de l'art contemporain depuis la fin des années 1960 revient aussi à voir et à comprendre comment les artistes ont dû prendre en compte ce nouvel ordre consumériste, quitte à le refuser pour s'enfermer dans le secret de leur atelier. Pour cette raison, cette histoire de l'art contemporain débute avec le pop art et Warhol, premier artiste qui a véritablement pris en considération ces phénomènes. Ses sérigraphies, directement issues des images des médias, ne célèbrent-elles pas l'ère de la banalité, l'ère où l'œuvre d'art entre définitivement en crise face à la concurrence féroce d'une société désormais tournée vers le spectacle de sa propre réussite. À la même époque, certains artistes tentent, par d'autres moyens, de surmonter cette impasse. Fluxus, les prémices de l'art corporel, mais aussi le formalisme de l'art minimal constituent autant de réponses possibles à cet état de fait. C'est également vers 1965 que surgit une jeune génération d'artistes utilisant la photographie comme nouveau médium. Celle-ci leur sert de support d'information et d'outil objectif au service d'une pratique artistique...

Librairie Publico - Éditions Flammarion